Le 15 avril 2024, des anciens de CapMissio prennent la parole sur la décision du diocèse de Montpellier de fermer l’école où ils ont donné un an de leur vie. Cette décision a été annoncée le 3 avril 2024 par Mgr Turini qui a présenté les conclusions d’une visite canonique initiée en février suite à un signalement concernant l’organisation et la gouvernance de CapMissio. Cette école d’évangélisation, fondée en 2015 par Mgr Carré et le Père René-Luc, a accueilli 87 jeunes, qui ont tous donné une année de leur vie pour se former à la mission et servir le diocèse de Montpellier.
« Si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40).
Nous, anciens de CapMissio, souhaitons par le biais de cette tribune apporter un éclairage supplémentaire car nous sommes fiers de notre année missionnaire vécue à Montpellier. Dans son communiqué, Mgr Turini nous y a d’ailleurs invité : « les anciens de CapMissio qui ressentent le besoin de mettre à plat tout ce qui n’a pas pu être exprimé. »
Nous exprimons donc publiquement nos voix à travers cette tribune, afin de partager notre expérience positive car à aucun moment lors de la visite canonique, nous n’avons été informés ou consultés, ni par le diocèse, ni par les visiteurs. Nous soulignons que cette démarche est entièrement portée par les anciens et que ni le Père René-Luc ni le CA de CapMissio n’y ont pris part.
Nous espérons également que cette tribune incitera les autorités ecclésiales à réfléchir et à améliorer la manière dont elles organisent et conduisent les visites canoniques. Cela permettrait d’éviter à d’autres œuvres d’Eglise de connaître le même sort malheureux, avec une fermeture aussi soudaine que celle que nous avons connue en un mois.
Préoccupations sur la temporalité et la procédure de la visite canonique
Les auditions de la visite canonique ont duré trois jours et ont été conduites par Mgr Jean-Pierre Batut et Mme Marie-Dominique Corthier du diocèse de Toulouse. Ces visiteurs ont auditionné le couple qui travaillait aux côtés du Père René-Luc et qui est à l’origine de la plainte sur la gouvernance, un autre couple qui s’est associé à eux, et des anciens de CapMissio qui ont parlé de fragilités psychologiques engendrées par leur année.
Nous comprenons que Mgr Turini ait lancé cette visite canonique suite à ces signalements, surtout dans le contexte de prudence de l’Église. Toutefois nous, les anciens de CapMissio, avons eu connaissance de manière informelle de cette visite deux jours seulement avant sa clôture. Sur 87 jeunes, uniquement 8 anciens de Capmissio ont été auditionnés pour livrer des témoignages d’expérience négatives ou à charge. Les 10 jeunes de la promotion actuelle ont aussi été reçus par les visiteurs, mais comme la restitution l’a indiqué, ils n’ont pas réellement compris l’objet et manquaient de recul.
Nous nous interrogeons donc sur le format, la rapidité et le déséquilibre manifeste des éléments pris en compte. Pourquoi cette absence de communication et un échantillon limité quasi-exclusivement à charge ? Nous ne comprenons pas comment il est possible d’obtenir une vision complète de la réalité de CapMissio qui existe depuis maintenant près de 10 ans avec un tel procédé.
Nous regrettons aussi que les visiteurs n’aient pas auditionné d’autres parties prenantes clés. Par exemple, bien que la visite canonique ait porté sur une question de gouvernance, les membres du conseil d’administration n’ont pas été entendus. Nous les connaissons tous bien : le vice-président qui est expert-comptable, le secrétaire qui est avocat, la trésorière qui est une chef d’entreprise, et un prêtre qui représente le diocèse au conseil d’administration. De même, les visiteurs n’ont pas cherché à entrer en contact avec ou à auditionner les anciens salariés, en particulier les deux anciens directeurs adjoints du Père René-Luc et son ancienne assistante de direction.
Reconnaissance de la souffrances des plaignants et éclairage complémentaire
Lors de la restitution il a été mentionné que “les jeunes équilibrés ont bien vécu leur années alors que pour certains jeunes fragiles cela a été plus difficile”. Nous tenons à exprimer tout notre désarroi ainsi que notre soutien à ces anciens. CapMissio est effectivement une école, mais au fil du temps, elle est également devenue une famille de cœur, et comme le dit l’Écriture, “si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance » (1 Corinthiens 12, 26). Nous avons également appris lors de la restitution que le père René-Luc était lui-même profondément bouleversé et avait demandé pardon publiquement.
Sans minimiser la souffrance des plaignants, nous nous devons tout de même d’apporter un éclairage supplémentaire pour ne pas dévaloriser tout ce que nous avons vécu de beau pendant notre année missionnaire. Ne pas le faire serait un manque de respect envers les bénévoles, nos familles, nos donateurs, nos amis ou encore les paroissiens de Ste Bernadette et les membres du diocèse qui ont soutenu nos missions. De plus, si on se limite à l’image de CapMissio présentée par la visite canonique, qui met principalement en avant des dysfonctionnements, cela ternit gravement la réputation de toutes les personnes impliquées et proches de cette œuvre, à commencer par nous les anciens, nos accompagnateurs, intervenants ou encore les familles-relai bénévoles qui n’auraient pas été capables de faire la part des choses.
Contrastes importants et liberté à réaffirmer
Nous ne voulons pas non plus que toutes les personnes qui ont été touchées positivement lors de nos missions, comme les lycéens ou les habitants de Montpellier, pensent que nous n’étions pas libres. Ni que tous ceux qui ont contribué généreusement soient associés à une image douteuse et mitigée des 9 années d’existence de CapMissio. La restitution de la visite révèle un certain nombre de contrastes entre ce qui est critiqué et ce qui était réellement vécu à CapMissio, ce que nous confirmons également par notre expérience :
- Le rapport mentionne que « les jeunes équilibrés et solides ont bien vécu l’école et sa sortie ; des jeunes déjà fragiles, l’ont vécu douloureusement ». « Certains témoignent au Père René-Luc beaucoup de gratitude. Ils ont bien vécu l’année et lui doivent l’essentiel de ce qu’ils ont vécu. D’autres, ceux qui ont eu des difficultés ou des souffrances, sont portés à lui en attribuer la plus grande part de responsabilité ».
- Le rapport dénonce la concentration des pouvoirs du Père René-Luc et en même temps souligne qu’il était en train de passer la main d’ici un ou deux ans au plus tard.
- Le rapport dénonce l’omniprésence du Père René-Luc et souligne en même temps qu’il ne déjeunait avec nous que trois repas de midi par semaine et évitait d’être avec nous le week-end et les lundis.
- Le rapport dénonce des dysfonctionnements du suivi spirituel et en même temps souligne que nous avions des accompagnateurs spirituels extérieurs, religieux diocésains, laïcs, homme et femme que nous pouvions choisir et voir librement.
- Le rapport parle de dysfonctionnement psychologique mais comme le souligne le communiqué du conseil d’administration, « une psychologue intervenait très régulièrement à CapMissio pour donner plusieurs cours tout au long de l’année. C’est vers elle que le père René Luc renvoyait les jeunes qui demandaient une aide. Ensuite, à son tour, elle renvoyait sur les bons thérapeutes selon les cas. (Cette psychologue n’a pas été auditionnée par les visiteurs) ».
- Les conclusions de cette visite canonique pourraient laisser une fausse idée d’une école repliée sur elle-même. Pourtant, nous étions au cœur d’une paroisse étudiante entourés de centaines de jeunes et disposions de la liberté de sortir et de voir des amis plusieurs fois par semaine.
Décalage important avec nos propres expériences
Certains des jeunes auditionnés ont indiqué que des dysfonctionnements avaient perturbé leur équilibre humain, spirituel et psychologique, décrivant cette souffrance comme étant « en grande partie due à la personnalité du père René-Luc ». De notre côté, nous avons aussi été choqués par certains propos mentionnés par des médias. Ces descriptions du père René-Luc ne font pas écho à notre propre expérience. Nous connaissons ses qualités comme ses limites pour l’avoir côtoyé de près pendant un an, en particulier son côté bourru, “rugbyman” et parfois directif mais nous ne comprenons pas le décalage avec de telles décisions, ayant pour notre part vécu une expérience positive à son contact et au sein de l’école CapMissio.
A ce jour et à notre connaissance, aucune faute grave et précise n’a été mentionnée lors de la restitution de la visite et le Père René-Luc a même été confirmé par Monseigneur Turini dans l’exercice de son charisme de prédicateur. Les conclusions ont enfin confirmé que “L’intuition de CapMissio est bonne.” et “qu’il n’y avait pas non plus de dérive sectaire”. Nous souhaitons insister sur ces éléments clés qui sont davantage en phase avec notre vécu.
Fermer CapMissio concerne toute l’Eglise de France
Depuis sa création, CapMissio a accueilli de nombreux jeunes de toute la France qui ont apporté chacun leur pierre à l’édifice. Cette œuvre est le fruit de l’inspiration de l’Esprit Saint à travers l’investissement du diocèse, de nombreux intervenants, bénévoles, ecclésiastiques et bienfaiteurs. CapMissio a eu un rayonnement bien au-delà des frontières de la paroisse étudiante où elle est située. CapMissio a permis à beaucoup de rencontrer Dieu, en commençant par les capmissionnaires eux-mêmes, les étudiants, lycéens et habitants de Montpellier, incarnant ainsi la devise empruntée à Jean-Paul II : « Le Rencontrer, L’aimer, Le faire aimer ». La mission plus spécifique de CapMissio, d’évangéliser les jeunes par les jeunes insérée dans une réalité diocésaine, est unique en son genre et résonne avec l’appel de Jésus adressé à chaque chrétien : annoncer son Amour au cœur de notre monde qui en a tant besoin. Quelle sera la suite de toutes les missions portées par CapMissio ? Quelles possibilités restera-t-il en France pour la formation des jeunes catholiques à l’évangélisation alors que nous voyons ce type d’écoles fermer les unes après les autres faute de soutien de notre Eglise ? CapMissio était la dernière en activité à ce jour.
Les fruits de CapMissio confirmés par nos propres témoignages
Nous sommes beaucoup d’anciens à attester de la transformation importante et bénéfique opérée en nous grâce à CapMissio. L’école, bien qu’imparfaite, a été incroyablement riche pour nombre d’entre nous et nous a fait grandir humainement et spirituellement. Cette année nous a offert de solides fondations pour notre vie de prière, notre formation théologique et notre capacité à servir l’Eglise. Aujourd’hui, nous sommes pour la quasi-totalité engagés partout en France et même à l’étranger dans nos paroisses, nos diocèses, dans des mouvements, parfois même en tant que salariés laïcs en mission ou dans des associations catholiques, certains ont également fait le choix de la prêtrise et de la vie religieuse. Nos parcours témoignent des fruits abondants de CapMissio qui doivent être soulignés.
Nous ne voulons pas que notre appartenance à la grande famille de CapMissio soit réduite à cette douloureuse et rapide visite canonique qui a entraîné sa fermeture. Nous voulons donc redire ici haut et fort tout ce que nous avons reçu de beau au cours de cette année qui a marqué positivement notre vie à jamais. Nos témoignages n’ont pas l’intention d’entretenir la polémique, mais au contraire de souligner le bien-fondé d’une école de mission insérée dans un diocèse qui, malgré ses dysfonctionnements, aurait pu être améliorée et méritait de perdurer. Nous espérons que Mgr Turini, ainsi que d’autres évêques, sauront retenir les aspects positifs de CapMissio afin de ne pas perdre cette belle intuition pour l’Église de France.